Des trésors témoins

L’art rupestre ou la littérature des Hommes préhistoriques

Il fut un temps où le syndrome de la page blanche n’existait pas. Puisqu’il n’y avait pas de page blanche. Seulement de la roche, ce support rigide qu’il fallait se donner la peine de creuser si l’on voulait marquer ses traces. Un mal que l’Homme préhistorique se donnait volontiers car débordant de bonnes histoires à raconter. Au Maroc, comme partout dans le monde, ces récits de vie gravés ou peints à l’ocre, ont contribué pour beaucoup à reconstituer notre mosaïque culturelle et sociale.

Etat des lieux…

Tenez-vous bien : c’est sur le continent africain que l’on recense non seulement le plus grand nombre, la plus grande diversité mais également les plus anciennes œuvres rupestres. L’Afrique du Nord et l’Afrique Australe en sont les principaux cocons. Au Maroc, c’est dans la région de Draa dans l’Anti-Atlas, notamment les territoires de la province de Tata dominés par la chaîne du Jebel Bani et l’Oued Draa, que les premiers sites, pas moins d’une quatre vingtaine, ont été révélés. Pour n’en citer que quelques-uns, Adrar Metgourine, Tircht, Tiggane, Ighir Ighnain, Melag, Imaoun, Adroun ou encore Tachoukalt ont tous été visités et étudiés par des chercheurs étrangers tels que A. Simoneau et A. Rodrigue, qui se sont pris de passion, depuis l’époque coloniale, pour l’exploration de ces régions aux grands mystères.

Dans le Rif, le premier site de peintures rupestres signalé est la grotte de Magara Sanar dans la vallée de l’Oued Loukkos, non loin de la ville de Chaouen. Au centre, un peu plus vers le Moyen Atlas, les sites d’art préhistoriques sont tout aussi rares en dépit de la richesse en abris et grottes. Sans doute en raison de l’absence de tout programme de recherches archéologiques dans la région. Néanmoins, trois stations rupestres qui n’ont pas fini de révéler toutes leurs richesses, y ont été révélées, notamment Oued Zireg, Tidrit et plus récemment Agouray. Le style prédominant y est plus géométrique accompagné parfois de figurations abstraites et de quelques espèces de faune.

Sur les traces de nos ancêtres…

Pour tenter de recomposer ce passé rupestre le plus fidèlement possible, il fallait d’abord en déceler l’ordre chronologique. 6 divisions officielles en ont découlé avec en tête, la période des chasseurs datée à 3000 avant notre ère, dominée par la faune sauvage notamment les éléphants, rhinocéros, girafes, antilopes de la savane africaine et parfois le chien représenté comme défenseur aux côtés des Hommes. Divers symboles à dimension spirituelle s’ajoutent à la chaîne dont les spirales, les labyrinthes ou encore les cercles, présents d’ailleurs un peu partout dans le monde. Sans doute l’une des divisions qui intriguent le plus, surtout après la découverte très récente au Sud, d’un abri portant des peintures de rituels dits viking, prouvant le passage de peuples scandinaves dans l’Atlas saharien à la recherche de cuivre pour la fabrication de leurs armes, d’après l’hypothèse communément admise. Vient ensuite la période bovidienne marquant le passage de chasseur à éleveur, avec une prédominance de vaches, bœufs et buffles présentés celle fois avec plus de détails. Bien que l’Homme y apparaît changer de mode de vie, il est toujours représenté en peaux d’animaux comme habit, portant parfois la plume dite libyenne, symbole de prestige chez les Imazighen. La troisième période est celle des chars qui ne sont jamais accompagnés d’homme ou d’animaux, ce qui témoigne d’un certain prestige. En 4 ème division, la période chevaline dont les figurations sont très rares dans le Sud marocain par rapport au Sahara Central. Ce qui s’expliquerait peut- être par l’éventualité d’un bref passage des chevaux depuis l’Egypte vers l’ouest. Cette période est néanmoins décisive car marquant le saut de chevaux transporteurs à chevaux cavaliers. Après quoi, la fameuse période dite lybico-berbère car marquant l’introduction des formes géométriques et plus particulièrement des inscriptions tifinagh. Cette étape de l’évolution marquerait également le passage aux armes métalliques et la naissance de l’Homme cavalier, désormais muni de hallebardes, poignards et boucliers. Nombreuses dans le Haut-Atlas, ces inscriptions s’avèrent bien plus rares au Draa. Enfin la période caméline boucle le chaînon avec une transformation climatique en Afrique du Nord permettant au climat sec de s’étendre et donc aux espèces d’évoluer, avec l’apparition notamment du chameau.

De la préhistoire à la fin du chapitre ?

Durant toutes ces étapes de maturité, ces œuvres sur roche de l’Homme préhistorique, qualifiées d’artistiques, sont la seule manifestation culturelle qui se soit poursuivie sans interruption pendant plus de trente millénaires, pour nous parvenir sous de multiples formes. Curieux ! Nos ancêtres étaient-ils tous des artistes-nés ? Si oui, pourquoi donc l’Homme moderne n’a t-il pas perpétré l’art de son ancêtre ? Serait-ce dû à l’apparition de supports plus faciles à manier, au phénomène de mondialisation, à la surmultiplication des Hommes, levier d’une ère prônant la quantité aux dépens de la qualité, ou encore à la standardisation de la pensée créative ? Cependant, qu’est-ce qui nous empêche de voir en nos livres, nos œuvres artistiques, nos contenus numériques, une nouvelle expression de l’Art autrefois rupestre. L’Homme d’antan, n’était-il qu’un simple narrateur qui usait de son propre langage et des moyens mis à sa portée pour marquer son passage ? Exactement comme nous le faisons au fil de ces lignes à l’encre virtuel ? Après tout, n’appelons- nous pas nos réseaux sociaux des murs de publication ?