Une tradition perpétuée

LE TAPIS BERBÈRE : CE LIVRE CODÉ

Matière, grain, couleurs, méthode de tissage,… composent l’argumentaire de prédilection des commerçants de tapis berbères. Une rhétorique qui séduit par la dimension de rareté qu’elle confère à l’objet. Mais qu’en est-il de cette valse de motifs géométriques tissés au fil d’un langage codé ?

Nous admirons ces fresques en laine tantôt multicolores tels les Azilal, tantôt contrastées tels les Beni Ouarains. Elles inspirent ce brin d’authenticité qui nuance, un temps soit peu, le caractère de plus en plus impersonnel de nos intérieurs contemporains. Cependant, notre regard les perce t-il vraiment ? Combien d’entre nous savent, par exemple, que derrière ces séries de losange, couronnées d’échelles, de traits, de droites, parfois d’arêtes de poisson, s’exprime une symbolique étonnante ?

Une géométrie martiale

Tout comme nos livres de chevet, les « tazerbyt » – tapis berbères en amazigh, littéralement « parterres fleuris » – narrent des histoires passionnantes, avec une différence près. Ils sont le plus souvent tissés par des femmes. « Ils rappellent un rite où la femme se remémore les moyens d’attaque et de défense pour conserver son bonheur », narre M. Devulder dans son ouvrage Peintures murales dans la tribu des Ouadihas publié en 1958. Un observation intéressante qui rappelle les principes de géométrie sacrée des civilisations antiques. Chaque figure y possède une énergie vibratoire qui, manifestée ici-bas, capte les ondes du cosmos pour maintenir équilibre et harmonie. La fertilité étant le plus souvent l’onde captée dans les tapis berbères, avec pour intention la procréation, la créativité et l’abondance.

Comme un Ying & Yang du monde berbère

A y regarder de plus près, les signes évoqués, pour la plupart féminins avec pour chef de fil le losange, puisent dans la symbolique de l’union femme/homme. Rencontre, accouplement, grossesse, enfantement, cycle de la vie et protection prophylactique y sont contés dans une poésie où les vers sont libres comme l’air. Le X par exemple exprime un corps de femme prêt à concevoir, quand le losange à double crochet lui, représente la matrice maternelle. Les symboles masculins occupent l’espace différemment, encadrant généralement les signes féminins. Ils sont le plus souvent représentés sous forme d’échelles, de traits et de droites. Des motifs qui ont pour base le chiffre trois (peigne à trois dents, deux bagues autour d’un anneaux, triple barre,…). Trois symbolisant, rappelons-le, la vie dans son état d’émergence. Autre signe récurrent et phallique : la ligne ondulée, représentant le serpent, très présent en Méditerranée et en Orient depuis le néolithique.

Quelle magie tout de même que recèle cette connaissance enfouie et menacée par l’oubli ! Fort heureusement, certaines femmes continuent d'en entretenir le savoir-faire, derrière leurs métiers à tisser rudimentaires aux sommets des flans de l’Atlas. Elles codent au fil de laine, plutôt qu'elles ne transposent, un monde de préoccupations aussi évidentes qu’indéchiffrables pour nous autres, observateurs ignorants des pouvoirs qu’ont les formes de transformer la réalité.